Un jour de mon enfance où nous avions un désaccord, ma mère à court d'arguments a brusquement levé les yeux vers moi et m'a jeté : A rose is a rose is a rose. Je voudrais pouvoir rendre le grain de sa voix à ce moment-là. Une rose est une rose est une rose. Aucune de nous n'a plus bougé. Avec fierté, avec gravité, ou peut-être une autre émotion dont je ne connaissais pas encore le nom, elle a ajouté que c'était un poème de Gertrude Stein, un grand écrivain américain imbitable.
Ma mère avait lu Léon Tolstoï, Truman Capote, Charles Bukowski, Theodore Dreiser, Gustave Haubert, Willa Cather - elle savait de quoi elle parlait quand elle parlait de littérature. Pourtant, immédiatement après avoir condamné Stein, elle avait répété la phrase. A rose. Is a rose is. A rose. Je me souviens de ce moment, petite fille comme aujourd'hui, c'est inaltérable, je me rappelle avoir cru qu'elle essayait de me dire que les choses sont comme elles sont, et que ce serait plus simple donc de les considérer toutes comme des roses, des bénédictions.
L'importance que ma mère accordait aux livres est la première chose que j'ai sue à son sujet. Bibliothèque bourrée à craquer, mètres linéaires, des livres partout, une bible protestante miniature, un livre en bois de la taille d'un ongle, quelques trucs vraiment rares, et presque tous les bons Américains, Russes et Anglais. Comme elle, j'ai appris à lire en associant chaque morphème à une émotion - à moins que ça ne soit non le moyen mais la raison.
Quand j’ai eu cinq ans et demi, ma mère m’a donné une machine à écrire, la sienne. Pourquoi diable avait-elle une machine à écrire? ai-je demandé à voix haute il y a quelque temps devant quelqu’un qui m’a répondu avec amusement Mais pour te la donner, justement.
Et c’est vrai, elle me l’a donnée, cette massive électrique qui devait peser dix kilos, elle l’a posée sur mon petit bureau, et elle m’a patiemment appris à y taper, elle m’a donné une chaise et de l’intimité, elle m’a acheté des rames de papier, des cartouches d’encre, et depuis je frappe les touches infatigablement sans savoir pourtant avec précision ce qu’elle attend de moi – mais quand je ferme les yeux, je revois les mêmes mots imprimés profond sur la première feuille de ma vie, je ne vois qu’eux. A rose is a rose is a rose. Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire?
Num dia da minha infância em que tivemos uma discussão, a minha mãe, à míngua de argumentos, olhou bruscamente para mim e atirou-me: A rose is a rose is a rose. Eu gostaria de poder retribuir o grão da sua voz naquele momento. Uma rosa é uma rosa é uma rosa. Nenhuma de nós se voltou a mexer. Com orgulho, com gravidade, ou talvez uma outra emoção de que eu ainda desconhecia o nome, ela acrescentou que era um poema de Gertrude Stein, uma grande escritora americana.
Quand je parle de mon rapport à la littérature, e dois toujours revenir en arrière, au passé, à mon enfance et à ma mère, à la machine à écrire et à la littérature américaine sur les étagères de la maison où j'ai grandi. Je revois ces noms autour desquels j'ai tourné parfois des années avant d'oser m'en saisir, Harrison, Capote, Roth, leur familiarité comme des personnes qui auraient vécu chez nous, ce peuple d'écrivains qui étaient nos lares, nos pénates et nos génies, ces vieux livres que ma mère avait amassés des années avant ma naissance, dans une vie que je ne pouvais qu'entrevoir dans le tampon portant son prénom et son nom qui était apposé sur leurs pages de garde. Comme pour tous les enfants, peut-être, mes parents étaient un mystère que je m'efforçais de résoudre en considérant ce qu'ils aimaient, ce qu'ils estimaient. Année après année, j'ouvrais un à un les livres timidement, et ils m'enseignaient - sur mes parents, mais pas seulement.
Dès le début, Gertrude Stein a été là, flottant au-dessus de mon enfance à cause de ce tout petit refrain sibyllin et de la librairie Shakespeare & Company où ma mère m'emmenait comme en voyage, et dont je savais confusément que la fondatrice originelle, Sylvia Beach, avait été une contemporaine de Stein. Pendant l'enfance, c'est tout ce que m'a évoqué le nom de Gertrude - des roses à l'infini, des phrases incompréhensibles, la rive gauche du Paris lointain des expatriés américains, et le jugement sévère de ma mère adorée. Adolescente, farouchement macho, j'ai recroisé Stein dans un livre de souvenirs d'Ernest Hemingway qui la décrivait avec beaucoup de condescendance comme une vieille folle imbue d'elle-même. Je n'avais pas encore eu l'occasion d'apprendre que c'était l'une des façons préférées des hommes pour parler des femmes qui ne leur avaient pas cédé, j'ai cru Hemingway, j'ai passé mon chemin.
Quand j'ai quitté mes parents, à vingt ans, je suis allée tout droit à Budapest - dans un pays étranger et froid où je ne connaissais personne. Ma toute première maison était un appartement meublé de la Râk6czi üt que je payais en liquide à un Anglais qui gérait les bains de la ville. Je m'étais fait faire une carte à la médiathèque de l'Institut français, et je lisais méthodiquement parce que j'essayais de devenir un écrivain digne de ce nom. Quelques mois plus tôt, j'avais lu dans une interview de James Crumley, "Les écrivains en activité sont les seuls à comprendre combien c'est sérieux de s'amuser et combien c'est amusant d'être sérieux", alors je faisais de mon mieux, j'essayais d'étudier, de progresser dans ces deux domaines et d'autres. Toutes les semaines, je prenais le métro qui passait sous le Danube jusqu'à la médiathèque en face du Parlement, et là j'allais chercher des livres comme Matilda avec sa carriole à bras. La médiathèque n'était pas très grande, si bien que quand j'ai épuisé les romans qui m'intéressaient le plus, j'ai commencé à explorer le rayon Beaux-Arts, et j'ai plongé tête la première. C'est là que je suis tombée sur un livre de Norman Mailer, Portrait de Picasso en jeune homme, où Gertrude Stein surgissait à chaque instant. Comme Hemingway, Mailer faisait un portrait à charge, mais il ne pouvait pourtant s'empêcher de la citer abondamment, lui aussi. Les notes de bas de page renvoyaient toutes à un livre qui s'appelait L'Autobiographie d'Alice B. Toklas, que je me suis immédiatement procuré.
Je connaissais ce titre, pour l'avoir vu lui aussi sur les étagères maternelles, mais c'est seulement à ce moment-là que la contradiction m'a sauté aux yeux : Alice Babette Toklas était la compagne de Stein, et elle n'était pas écrivain. L'autobiographie d'Alice B. Toklas, signée par Gertrude Stein, c'était donc strictement, techniquement, déontologiquement même, impossible. Et pourtant le livre était là.
Quando falo da minha relação com a literatura, tenho sempre de voltar ao passado, à minha infância e à minha mãe, à máquina de escrever e à literatura americana nas prateleiras da casa onde cresci. Volto a ver esses nomes em redor dos quais andei às voltas, por vezes durante anos antes de me atrever a agarrá-los, Harrison, Capote, Roth, a sua familiaridade como pessoas que teriam vivido em nossa casa, esse povo de escritores que eram os nossos lares, os nossos penates e os nossos génios, esses velhos livros que a minha mãe tinha amontoado anos antes de eu nascer, numa vida que eu só podia vislumbrar no carimbo com o seu nome e apelido que estava aposto nas suas folhas de rosto. Como para todas as crianças, talvez, os meus pais eram um mistério que eu me esforçava por resolver tendo em conta o que eles gostavam, o que eles valorizavam. Ano após ano, eu abria os livros um por um, timidamente, e eles ensinavam-me - sobre os meus pais, mas não só.
Desde o início, Gertrude Stein esteve, pairando sobre a minha infância devido a este pequeno refrão sibilino e à livraria Shakespeare & Company onde a minha mãe me levava como numa viagem, e da qual eu sabia confusamente que a fundadora original, Sylvia Beach, tinha siso uma contemporânea de Stein. Durante a infância, foi tudo o que para mim evocava o nome Gertrude - rosas ao infinito, frases incompreensíveis, a margem esquerda da distante Paris longínqua dos expatriados americanos e o severo julgamento de minha adorada mãe. Adolescente, ferozmente machista, voltei a cruzar-me com Stein através de um livro de memórias de Ernest Hemingway que a descrevia, com muita condescendência, como uma velha louca grávida de si mesma. Eu ainda não tinha tido a oportunidade de aprender que era uma das maneiras favoritas com que os homens falavam sobre as mulheres que não cederam, acreditei em Hemingway, segui caminho.
Quando deixei os meus pais, aos vinte anos, fui direta para Budapeste - um país estranho e frio onde não conhecia ninguém. A minha primeira casa foi um apartamento mobiliado da Râk6czi üt que paguei em dinheiro a um inglês que administrava as águas termais da cidade. Eu tinha-me inscrito na biblioteca do Instituto Francês, e lia metodicamente porque estava a tentar tornar-me um escritor digno desse nome. Alguns meses antes, eu tinha lido numa entrevista de James Crumley, "Os escritores no ativo são os únicos que entendem o quão sério é divertir-se e o quão divertido é ser sério", então eu dava o meu melhor, eu tentava estudar, progredir nestes dois domínios e noutros. Todas as semanas, eu apanhava o metro que passava debaixo do Danúbio até à mediateca frente ao Parlamento e ia lá buscar livros como Matilda(1) com o seu carrinho de mão. A biblioteca não era muito grande, por isso quando esgotei os livros que mais me interessavam, comecei a explorar a secção de Belas-Artes e mergulhei de cabeça. Foi aí que me deparei com um livro de Norman Mailer, Retrato de Picasso enquanto jovem, onde Gertrude Stein aparecia a cada momento. Como Hemingway, Mailer fez um retrato incriminatório, mas não podia deixar de a citar abundantemente, ele também. As notas de rodapé eram todas sobre um livro chamado A Autobiografia de Alice B. Toklas, que eu arranjei imediatamente.
Eu conhecia esse título, por tê-lo visto também nas prateleiras maternais, mas foi só nesse momento que a contradição me saltou aos olhos: Alice Babette Toklas era a companheira de Stein, e não era escritora. A autobiografia de Alice B. Toklas, assinada por Gertrude Stein, era portanto estritamente, tecnicamente, deontologicamente mesmo, impossível. E ainda assim o livro estava lá.